Parlons.anges
Il s'est enfui dans la nuit noire
Il s'est enfui dans la nuit noire à la façon d'un Gainsborough. Ses pieds, deux gisants maladroits, qui, entre deux foulées, viennent saturer de nicotine ce qu'il lui reste dans le coeur.
Dans ce nouveau brouillard, où son cerveau déjà depuis des mois infuse, il vient jeter les morceaux aériens de son inexistence. Et plus la brume augmente, et plus il disparaît - les rives vinicoles annonçant sa déroute.
Il marche. Et ses pieds sont des pioches qui creusent son sillage, inadvenu, sans but, comme une cicatrice, comme une déchirure qu'il trace sur le sol, comme un ciel étoilé qui se ferait lambeaux, l'habillant des guenilles qui peu à peu le griment en un épouvantail.
En chemin, quelques énergumènes qui jouent de la guitare et l'invitent à chanter, et il chante avec eux, se souvenant qu'un jour quand il avait vingt ans, il aimait lui aussi faire pareil à ces autres, à ces oiseaux de nuit, et qui chantent, eux aussi, sans savoir que le jour viendra les effacer, le laissant là, tout seul, les pieds à pietiner les copeaux des souvenirs de la veille.
Assis sur le perron de sa propre conscience, il boit. Un temps long se profile alors qu'il n'a plus soif mais qu'il se sert pourtant, comme on vide une mer, et comme un long ressac qui ne remplit plus rien à noyer ses chevilles dans sa lame de fond.
Longtemps plus tard, alors que le jour vient, alors qu'il s'en extirpe comme une renaissance, alors qu'il ne danse plus, alors que son corps mort est de nouveau vivant, il se souvient du mauvais rêve, rebattant le puzzle de cette dernière année, et pleurant sur l'autel qui le lie pour toujours à sa petite tombe, il se met à genoux. Il la cajole un peu, et il lui dit je t'aime, à son enfant perdue.